La petite histoire de... Rumble In The Jungle (Partie 2)
PARTIE 2 : LE COMBAT DE LEGENDE
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Entre revendication nationales et obligations internationales :
Dans l’enceinte sportive, les chants traditionnels sont entonnés. Les hommes et les femmes en pagnes et boubous traditionnels assurent le spectacle avant l’entrée des deux protagonistes et ils enjoignent la foule à exprimer leur « Zaïrité ».
C’est un ersatz de folklore traditionnel, n’ayant pour but que de se créer de toute pièce une tradition impossible. Une mise en scène lourde, grossière. Celles dont seul les régimes les plus mégalomaniaques sont capable. Mais ça marche. Le stade est chauffé à blanc. Les spectateurs sont prêts à rugir, à exploser, à monter sur le ring s’il le fallait.
Au beau milieu de cette foule, posé là à dessein, trône au sommet de la tribune présidentielle le portrait gigantesque de Mobutu. De son attitude empreinte de sérénité, couvre-chef léopard et lunette en écaille de tortue, il toise la foule de son regard protecteur. Il est celui grâce à qui le Zaïre existe, il est celui grâce à qui l’Afrique à son combat, il est celui grâce à qui Ali est venu. L’image est très claire : Mobutu n’a pas créé le Zaïre. Mobutu, c’est le Zaïre.
Ali, le tacticien a gagné la première bataille :
Le stade est plein comme un œuf. Voilà des semaines qu’Ali affirme un peu partout que sa vitesse d’exécution viendra à bout de la puissance de Foreman. Qu’il dit à qui veut l’entendre qu’il va terrasser le colosse. Qu’il va punir le champion. Qu’il va être le digne représentant de l’Afrique contre celui qui incarne l'US pur jus. Il va défoncer cet homme qui a manqué de respect au peuple zaïrois en ramenant son berger allemand en conférence de presse. Il sait qu’il va devoir répondre à la force pure, presque animale de Foreman le plantigrade, Foreman la momie, Foreman le semi-remorque.
Mais il a réussi l’exploit de faire cristalliser une véritable haine autour de Foreman. Il en a fait l’ennemi de tout un peuple. Il en fait une brute épaisse incapable de contenir la fougue qu'Ali va mettre. Foreman a déjà perdu le combat des cœurs. Maintenant, il va falloir assumer.
Quelques heures avant le combat, comme pour combattre le trac et chasser les mauvais esprits, Ali fait une petite reconnaissance du lieu du duel. Il s’imprègne de l’odeur, de l’atmosphère qui se dégage de l’enceinte si particulière qu’est ce stade du 20 mai. Il fait quelques pas sur le ring, s’allonge dans les cordes, sautille et tourne en rond. Il cherche à se créer des repères, à faire de ce ring son « chez lui ».
Le match est nocturne. Trois heures du matin, l’heure du choc arrive enfin. Pour garantir à un public américain privilégié de voir le combat et surtout pour pouvoir vendre l’événement au prix fort, le match se déroulera à une heure de grande écoute aux USA. Calcul rapide de la part des promoteurs : 3 h 00 au Zaïre, cela fait du prime-time à New-York. Au milieu de la nuit de Kinshasa, le combat du siècle va commencer.
En face, dans le coin gauche, le champion en titre Foreman est assis, peignoir sur le dos. Il est confiant, paisible. Mais il est surtout déterminé. Foreman ne cherche même pas à croiser les yeux de son adversaire. Sans le fuir, il semble au-dessus des provocations d’Ali qui lui, le toise en lançant des enchainements gauche-droite rapides dans l’air. Le message est clair : « regarde comme je vais vite ».
Se levant d’un coup, Foreman laisse glisser son peignoir à ses pieds et laisse découvrir sa musculature phénoménale. Le regard d’Ali change. Alors c’est donc lui qui a démoli Frazier…
Plus nonchalant que jamais, Foreman se balance gentiment dans l’air chaud et humide de Kinshasa. Son attitude détendue, presque docile, tranche avec l’impression de puissance féroce qu’il dégage. L’arbitre les appelle. Les deux combattants se rapprochent. Et là, Ali capte enfin le regard de Foreman. A la seconde où leurs yeux se croisent, Ali lui parle. Il le fait haut et fort, couvrant la voix de l’arbitre malgré son protège-dent. Le visage de Foreman se crispe et se tort. Il est en colère c’est évident. Les deux poids lourds regagnent leurs coins respectifs. Foreman est très fermé. Ali sautille et danse déjà. Comme il l’avait promis, il semble tout miser sur sa vitesse.
Ali est-il capable de résister plus d’un round ?
Frazier est présent, au micro pour commenter ce combat, et il n’a pas tenu un round contre Foreman. Au moment où la cloche sonne, on ne peut oublier les images de "Smoking" qui va au sol 4 fois en 30 secondes.
Et les choses ne trainent pas. Ali est le premier à frapper : une droite qui passe et c’est toute la foule qui hurle. Chaque fois que Foreman essaye d’enchainer, Ali l’agrippe. Chaque fois que Foreman avance en oubliant un tant soit peu sa garde, Ali le puni d’un direct du droit en pleine face. Après 1 minute de combat, Foreman a déjà pris 3 coups à la tête. Ali l’avait promis, il le fait : il danse autour de Foreman.
Seulement, après 1 minute 30 à tourner et avancer un peu dans le vide, Foreman réussit enfin à bloquer Ali dans un coin et à le toucher. Une gauche terrible, lourde comme un parpaing lui arrive en plein front. Ali est secoué mais s’accroche au collier de son adversaire.
Foreman cogne et cogne encore. Ali encaisse et se fait martyriser dans les cordes. Comme le bambou, il plie mais ne rompt pas. Foreman frappe comme un âne, aussi fort qu’il peut. Les commentateurs sont incrédules : pourquoi Ali se laisse-t-il enfermer comme cela ? Au bout de 3 rounds, la salle est « climatisée ». On attendait une démonstration de vitesse et de fougue. Raté. Peut-être que finalement, Ali est trop vieux, Ali est fini, il est temps pour lui de dire « au revoir »… Il n’est bon qu’à s’accrocher avec courage, et tout le monde attend le coup de grâce.
Ali, joueur d’échec, ré-invente la boxe:
Mais, comme dans une partie d’échec, ça n’est pas toujours celui qui semble avoir l’avantage qui remporte la victoire. Peu à peu, les pièces du puzzle se mettent en place. Ali a menti, il ne va pas le noyer sous un torrent de coups et une déferlante de vitesse d’exécution. Ali est bien trop malin et trop calculateur : il a un plan.
Ses longues courses sur le bord du fleuve, son tour sur le ring le matin du match, ses provocations multiples, ses sorties fracassantes dans la presse : tout cela a un but. Il veut épuiser Foreman. Avec ses treks interminables sur les bords du fleuve, il s’est taillé une condition physique exceptionnelle. Son tour sur le ring le matin du combat lui a permis de voir que les cordes n’étaient pas tendues, que le tapis était bien plus mou que d'habitude et que le ring était plus petit qu’à la normale. Ses provocations avant le combat ? Sa garantie de faire partir Foreman à fond, sans réserves : il ne veut pas de round d’observation. Ses sorties dans la presse ? De la pure et simple désinformation. Ali est en pleine partie d’échec. Et il a 5 coups d’avance.
Alors, Georges, c’est tout ce que tu as ?
Foreman la brute à court de solutions :
Foreman, naturellement, ignore tout de cette stratégie. Il rentre à fond dans le combat. Et c’est le piège du « rope-a-dope » qui se referme sur lui. Adossé aux cordes détendues, Ali encaisse et amortit tous les coups ou presque. A chaque fois qu’il est touché, il s’accroche au cou de Foreman et lui glisse à l’oreille des petites phrases assassines : « On m’avait dit que tu cognais aussi fort que Joe Louis », « Alors Georges, tu vas me frapper à un moment ? », « Tu n’es qu’une fillette ! ».
Les rounds s’enchainent. Pour la troisième fois seulement de sa carrière, Foreman va devoir combattre dans un 5ème round. Ali grimace de plus en plus mais ne va pas au tapis. En face les frappes de Foreman résonnent de moins en moins. Ali utilise le poids de son corps à chaque accrochage pour se balancer au cou de son adversaire. Foreman n’a pas pris énormément de coups mais il a la nuque sur le point d’exploser. Il a les mains en feu, les bras en feu, les épaules en feu. Il distribue comme un sourd, mais Ali ne vascille pas.
C’est au cours du 5ème round que le challenger va porter l’estocade mentale. Au cours d’un nouvel accrochage consécutif à un coup au corps monstrueux porté par champion, Ali demande alors à Foreman, qui est persuadé d’avoir fait mal à son adversaire : « ». Foreman, désabusé, réponds : « Oui, c’est à peu près tout ». C'est plié : Ali a gagné le combat mental.
Le « Greatest » est un génie :
La machine se met alors en route. Porté par un public qui retrouve des couleurs, Ali enchaine deux rounds énormes. C’est la guerre mondiale. Les deux hommes vont chercher des ressources là où ils n’étaient jamais allés. Qui de Foreman, plus puissant mais bouilli, d’Ali, moins efficace mais plus fringuant va prendre le dessus. Le match se transforme en guerre de tranché.
Epuisé et incapable de lever le bras gauche, Foreman prend les directs du droit de Muhammad en pleine face. Sur un enchainement terrible, 2 droites et 3 jabs d’une vitesse folle, Foreman part au tapis. Ali, poussé par la foule vient d’électrocuter son adversaire sur une combinaison. Un enchainement tout droit sorti de la salle d’entrainement.
Foreman, dans un dernier effort, se remet sur ses pieds. Mais, relevant une tête qui a l’air de peser 300 kilos, il aperçoit le geste sans équivoque du référent. L’arbitre a fini de compter et le boxeur texan s’est relevé une seconde trop tard. Le match est terminé, Ali re-devient champion du monde poids lourd de boxe WBA/WBC.
Dans un stade en fusion, celui que le Zaïre a traité comme son fils vient d’apporter plus qu’une victoire sportive à ce peuple. Il leur a apporté l’espoir. Ali est l’ambassadeur à vie de Kinshasa, et pour s’en convaincre, il n’y aura qu’a penser au plus grand match du 20ème siècle : Rumble in the Jungle, où la victoire d’un boxeur plus Africain qu'Américain.
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