La chronique de Luc : Azincourt, match retour
Luc est de retour. Oui, l’enfant prodigue de Cotonou, le petit prince de la Rade, L’Amiral Nelson de la porte de Choisy…
Mais je vais être honnête : moi ca me fais chier. Il écrit des trucs trop compliqués, il me traite comme un sous-fifre et me fait des reproches, il fait sa diva, (« Je veux bien faire ton édito mais à condition de sauver les ours blanc au bénin », « les dauphins en Allemagne », « de donner une tribune à Guy Carlier …») et je dois presque me prostituer pour avoir un article de sa part. Et quand enfin j’ai un signe de lui, l’œil humide et la lèvre tremblante, d’une main hésitante, j’ouvre son offrande informatique et inespérée. Et là, c’est un mail lapidaire. Pas d’excuses, pas de remords. Même pas un bonjour. Je suis une catin et lui c’est mon mac…
Et en plus j’imagine déjà sa cohorte de groupie, le cheveu sale et la mœurs légère, appuyant nerveusement sur la touche F5 du clavier pour rafraichir la page dans l’espoir, jusqu’alors déçu, de voir l’avatar de « la plume » en tête d’article. Et là enfin, je publie à nouveau un édito. Ca va être AC/DC au stade France. A coté, le fan club de Justin Bieber c’est 12 blaireaux moisis dans un bar crade de Paray-Vieille-Poste. Je vais encore devoir payer des frais suite aux émeutes en bas de chez lui et j’espère que, pour une fois, ils toucheront pas à son scooter.
Quoi Luc ? Où est ton argent de la semaine ? Pardon patron, promis je le ferais plus… Pour me faire pardonner, je vais le publier ton édito… De toute façon j’ai pas le choix, ton fan club d’intégristes séquestre mon chat…
Bonne lecture à tous
Azincourt, match retour :
La France du rugby se réveille toujours transfigurée des nuits qui suivent les affrontements avec
la perfide Albion. Lorsque ces batailles se déroulent sur le sol anglais, et non pas à quelques coudées de la basilique de Saint Denis, leur beauté n'en est que soulignée. Tous les espoirs de
punir ces ennemis héréditaires dans leur chair, sur leurs terres, sont permis. L'enjeu n'est plus de remporter le tournoi, mais de rejouer l'éternelle rivalité pour la suprématie sur le rugby de
l'hémisphère Nord. En effet, les Gallois branchés sur courant alternatifs, les Irlandais inconstants et vieillissants, les Écossais exsangues et les Italiens pétris des promesses et des naïvetés
de benjamins du Tournoi, ne nous posent plus de vrais problèmes. La disparition de la Roumanie du rugby et l'apathie des trois-quarts Géorgiens, éclipsés par leurs avants mythiques, nous ont
abandonnés à ce duel à mort avec l'Angleterre. La France adore les ennemis héréditaires. Les Allemands pour l'industrie et l'économie, les Anglais pour la finance et le rugby. Dans ce contexte,
la bataille de Twickenham fait écho à celle d'Azincourt, toute victoire sur Martin Johnson venge Jeanne d'Arc. Nos plus grands généraux ont attendu de rencontrer l'Angleterre pour mettre un terme
à leur carrière : Philippe Sella, dont Jacques Fouroux disait - à tort- qu'il ressemblait à Bertrand du Guesclin, s'est arrêté un jour de petite finale de Coupe du Monde en 1995, sur une victoire
contre les Anglais en Afrique du Sud. Serge Blanco, lui, n'a pas connu cette satisfaction : sa dernière sortie, un quart de finale en 1991 face aux hommes de Will Carling, s'est soldé par une
défaite.
Le rugbyman hexagonal attend donc avec une impatience infantile ce choc au sommet, choc nimbé de
l'aura des grands soirs, avec l'espoir fou de grimper sur le toit de l'Europe du rugby. Et il se réveille au lendemain avec un ineffable sentiment de régression, avec dans la bouche un petit goût
de sang. Parfois c'est du sang anglais et il résonne de la fierté d'avoir vengé nos ascendants, d'avoir rétabli la hiérarchie naturelle sur ces faibles qui n'ont pas su se débarrasser de leurs
monarques, d'avoir réhabilité le coq dans le jardin d'Europe, d'avoir gagné le droit de retourner à l'orgueil et à la morgue des gentlemen de sa Majesté leur humiliant "Good game". C'est le sang
impur, évoqué par Rouget de Lisle, qui abreuve les sillons de la vanité tricolore. Malheureusement, parfois, il arrive que la perfide Albion triomphe. Alors les supporters français se scindent en
deux camps; le réalisme veut jeter l'équipe de France avec l'eau du bain, accable nous représentants de tous les maux et réclame toutes les têtes, y compris celles du sélectionneur national.
Aussi improductif qu'inélégant. A contrario, le camp de la mauvaise foi tient en équilibre sur un fil tenu, avec des arguments aussi fallacieux que méprisables; tous réclament une victoire morale
eût-égard à l'arbitrage, britannique donc partisan, à la pauvreté du jeu anglais, pick-and-go et chandelles, à la météorologie locale, pluie et grêle.
Nous oublions un peu facilement que depuis que le Tournoi rassemble six nations, l'on ne peut
prétendre assister à une écrasante domination, quelque soit le côté de la Manche dont on regarde. L'idée même d'ennemi héréditaire s'est dissoute dans le professionnalisme et les incursions
successives de Philippe Sella, Abdel Benazzi, Thomas Castaignède, Raphaël Ibanez et Serge Betsen dans le PremierShip anglais. Confirmation apportée au Top 14 par James Haskell, Tom Palmer et Sir
Jonny Wilkinson. Depuis 1995, dans le Tournoi, face aux sujets de Queen Elizabeth, nous avons essuyé autant de défaites à domiciles que nous avons remporté de victoires à Londres (2). Au seul
classement qui saurait nous départager, à savoir le classement britannique, nous sommes donc à égalité. Pour le reste nous pouvons revendiquer cinq Grands Chelems (contre 2) et deux victoires non
partagées (contre 3); aucun camp n'a à rougir de son palmarès et -cocorico- nous pourrions nous targuer d'une légère avance.
Pour ce qui est du match, des Français bien plus valeureux que les pâles formations qui s'étaient
imposées face à l'Écosse et à l'Irlande, ont su nous faire rêver durant une mi-temps au long court. Malgré la crainte qui semblait suinter des visages de nos petits bleus pendant la Marseillaise,
l'entame fut dantesque, les avants tricolores solides, Jauzion et Rougerie souvent efficaces, parfois impériaux. Avec une défense retrouvée, nous avons même vu des trois-quarts anglais, abrutis
de coups de casque et tampons aux côtes, hésiter à aller au contact et dégueuler des ballons. Nick Easter, le Marc Cécillon des Harlequins, a mordu la poussière plus d'une fois, et Thierry
Dusautoir s'est même offert le luxe de piquer un ballon sur un renvoi. S'il n'était la déplorable nécessité de trouver une explication et un coupable à chaque débâcle, nous aurions la force de
reconnaitre que nos adversaires du jour sont revenus des vestiaires plein de détermination, et que la ferveur des "Swing Low, Sweet Chariot" a galvanisé le XV de la Rose. Nous avons été surpassés par plus forts, plus réalistes, plus
constants que nous. Pourtant cette équipe de France volontaire et combative m'a plu, cette soirée de défaite comptable ressemblait à un matin de victoire sur nos démons.
1991 et son essai du bout du monde, 1994 et son essai à mille passes nous rappellent que si les All
Blacks nous permettent parfois de faire l'étalage de notre génie, le XV de la Rose s'érige toujours en révélateur de notre courage.