La chronique de Luc : Rupeni Caucaunibuca, ou l'histoire d'un Rom a Agen
A l'occasion du match de reprise de Rupéni Caucaunibuca avec les barbarians, voilà le retour du dandy des finances. Ces charges pachidermiques marquent autant les corps aux 4 coins de l'ile de France que ces phrases assassines marquent les esprits de ses lecteurs. Il est grand, il est beau, il sent bon le sable chaud. Mesdames et Messieurs : place au prince du bénin alias Luc H.
Le conflit ancestral, structurel, historique entre les nomades et les sédentaires,
ravivé récemment par les mesures d'expulsion des roumains et bulgares de passage dans nos campagnes, est certainement un des conflits les plus vieux de l'histoire de l'humanité (après la lutte
des sexes et l'asservissement de la femme par l'homme). La scission est née lorsque les chasseurs cueilleurs ont décidé d'initier l'agriculture, de renoncer à l'incertaine espérance pour se
nourrir de certitudes entretenues. L'échange entre liberté entre confort, entre curiosité et assurance, douloureux pour certains hommes avait besoin, pour durer, d'être érigé en valeur-refuge, en
vertu suprême. Depuis, les sociétés sédentaires vouent une haine farouche aux nomades, et ce, en Afrique, en Asie comme en Europe. Tous les événements du quotidien qui étaient, au pire négligés,
au mieux classées d'ésotérisme fataliste (destin, karma) ou d'imposition maléfique (occulte, œuvre du malin) y trouvent une explication, offrent un exutoire. Les poules qui disparaissent (fait
localement déplaisant mais globalement récurrent) coïncident avec l'arrivée des roulottes ? Haro sur le baudet. De par le caractère transitoire de sa présence, l’itinérant conjugue deux défauts :
il est le bouc émissaire parfait en cas de coïncidence, mais surtout, il n’offre pas les garanties que réclame le contrat social des sédentaires. Il n’offre aucune prise, ne peut être retrouvé en
cas de contentieux. Contrairement aux relations traditionnelles renforcées par un faisceau d’éléments contraignants (« je sais où tu habites, je connais ta famille », « ta terre étant ancrée à
coté de la mienne, je saurais toujours ou te trouver ou de quelle manière te contraindre ou te menacer »), les prises offertes par les itinérants sont toujours minces et ne constituent aucunement
une certitude. Le sédentaire ne ressent pas d’avenir dans une relation avec un nomade car leurs chemins ne se croiseront peut-être plus jamais et rien ne force le nomade, même temporairement
fixé, à assumer les clauses les plus désagréables du contrat. Le crédit c’est la confiance accordée à autrui, et on ne fait pas crédit à quelqu’un dont on ne peut pas s’assurer la loyauté, dont
on ne peut pas sanctionner la déloyauté.
Rupeni Caucaunibuca, un nomade du rugby, un dilettante prodigieusement doué, est aujourd’hui licencié du S.U. Agen pour avoir manqué et de beaucoup (2 mois) la reprise des entrainements mais
surtout la reprise du championnat (3 matches). Ses employeurs lui reprochent d’avoir manqué aux termes de son contrat de travail et d’avoir failli à respecter ses obligations. En accord avec les
joueurs, ils ont donc décidé de mettre un terme à leur collaboration. Reprenons l’histoire du début : en 2001, dans le championnat mondial de rugby à 7, un ailier fantasque apparait dans l
‘équipe des Iles Fidji : il s’offre le luxe d’inscrire 38 essais en 5 étapes du tournoi. Repéré quasi immédiatement, il est trusté par les Auckland Blues de Joe Rococoko, Carlos Spencer, Doug
Howlett, Luke McAllister, Ali Williams et autres Keven Mealamu. En Nouvelle Zélande, il ne jouera que 13 matches mais inscrira 15 essais dont un incroyable triplé contre les mythiques Crusaders.
Suite à cela, il devient une star mondiale et très attendue : lors de la Coupe du Monde 2003 en Australie, il est craint par les Français qu’il ne déçoit pas : il marque un essai, casse la
mâchoire à Olivier Magne et sort par la petite porte avec deux matches de suspension. Agen tient alors à la recruter pour renforcer sa ligne de 3/4 et dès sa première saison, Rupeni est le joueur
de l’année et le recordman des marqueurs d’essais. Quelques engueulades après, dans un registre qui n’appartient qu’à lui, Caucau est fustigé, raillé, écarté, viré. Toulouse se propose de le
reprendre, de l’encadrer, de le fixer : Guy Novès se lance un défi personnel, celui de servir de tuteur à ce pied de vigne particulièrement noueux. En effet d’après le principe général « qui peut
le plus peut le moins », il semble évident à tout le monde que si le fidjien se soumettait à une discipline, s’il me mettait à la préparation physique, s’il perdait 40 kilos, s’il se présentait à
l’heure à l’entraînement, son rendement n’en serait qu’amélioré. La même logique a voulu que Thomas Castaignède compense son manque de puissance en prenant de la créatine, ajoute à son étincelle
créatrice quelques kilos de muscles et nous avons vu le résultat.
Cette histoire me rappelle celle de Django Reinhardt, parti en Amérique à la rencontre du jazz originel, pour une tournée avec Duke Ellington, et qui n’y a rencontré que des comptables, des
horaires, des chambres d’hôtel et des prestations chronométrées. Il en est revenu déçu et a délaissé pendant quelques temps sa guitare. Le génie qui est le sien aurait-il pu naitre dans un
pavillon de banlieue ? Hors de sa roulotte, loin de son nomadisme, le gitan aurait il laissé cette empreinte indélébile dans l’histoire du jazz ? Rupeni Caucaunibuca, arraché à ses plages
pacifiques pour une promesse de french flair, de jeu libre et de grands espaces, résistera t’il aux influences extrêmement cadrées d’une horlogerie toulousaine ? Qui sommes nous pour exiger de
lui qu’il se plie aux brimades d’un mécanisme millimétré, aux rigueurs d’une lecture scientifique du jeu ? Caucau ressemblerait alors à un soliste dans un orchestre, un crack dans une fantasia,
un artiste dans une entreprise, délavé et déprimé, contenu et détenu, interdit et jauni.